Extrait de À nos amis, du Comité Invisible – Omnia Sunt Communia
« Non seulement la commune n’est pas morte, mais elle revient. Et elle ne revient pas par hasard ni n’importe quand. Elle revient au moment même
où l’État et la bourgeoisie s’effacent comme forces historiques. Or c’était justement l’émergence de l’État et de la bourgeoisie qui avait sonné le glas de l’intense mouvement de révolte communaliste qui secoua la France du XIe au XIIe siècle. La commune, alors ce n’est pas la ville franche, ce n’est pas la collectivité qui se dote d’institutions d’auto-gouvernement. Si l’on peut obtenir que soit reconnue la commune par telle ou telle autorité, généralement à l’issue d’âpres combats, elle n’a pas besoin de cela pour exister. Elle n’a même pas toujours de charte, et quand il y en a une, il est bien rare que celle-ci fixe une quelconque constitution politique ou administrative. Elle peut avoir un maire, ou pas. Ce qui fait la commune, alors, c’est le serment mutuel prêté par les habitants d’une ville ou d’une campagne de se tenir ensemble.
Dans le chaos du XIe siècle en France, la commune, c’est se jurer assistance, s’engager à se soucier les uns des autres et à se défendre contre tout oppresseur. C’est littéralement une conjuratio, et les conjurations seraient restées chose honorable si les légistes royaux n’avaient pas entrepris dans les siècles suivants de leur associer l’idée de complot, pour mieux s’en débarrasser.
Un historien oublié résume : « Sans association par serment, il n’y avait pas de commune, et cette association suffisait pour qu’il y eût commune. Commune a exactement le même sens que serment commun.»
La commune, c’est donc le pacte de se confronter ensemble au monde. C’est compter sur ses propres forces comme source de sa liberté. Ce n’est pas une entité qui est visée là : c’est une qualité de lien et une façon d’être dans le monde. Voilà un pacte qui ne pouvait qu’imploser avec l’accaparement de toutes les charges et de toutes les richesses par la bourgeoisie, avec le déploiement de l’hégémonie étatique.
C’est ce sens originaire, médiéval de la commune, depuis longtemps perdu, qu’a retrouvé on ne sait comment la fraction fédéraliste de la Commune de Paris en 1871. Et c’est à nouveau ce sens qui resurgit périodiquement depuis lors, du mouvement des communes soviétiques – qui fut le fer de lance oublié de la révolution bolchevique jusqu’à ce que la bureaucratie stalinienne en arrête la liquidation – jusqu’à l’«intercommunalisme révolutionnaire» de Huey P. Newton en passant par la Commune de Kwangju de 1980 en Corée du Sud. Déclarer la Commune, c’est à chaque fois sortir le temps historique de ses gonds, faire brèche dans le continuum désespérant des soumissions, dans l’enchaînement sans raison des jours, dans la morne lutte de chacun pour sa survie. Déclarer la Commune, c’est consentir à se lier. Rien ne sera plus comme avant. »