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Murs légaux et dispositifs d’encadrement du graff

Retour historique sur l’apparition des murs légaux en France, et sur l’ambiguité de leur existences : conquête des graffeurs, lieux d’expression et instance de contrôle.

1) Extrait de « L’art transgressif du graffiti. Pratiques et contrôle social » de Nicolas Mensch

Afin de dissuader les adolescents de rejoindre les bandes de « blousons noirs », en France, dans les années 1960, les politiques s’étaient mobilisés en faveur des Maisons des Jeunes et de la Culture (Mucchielli, 2011). Ces structures, basées sur l’éducation populaire, la culture artistique et sportive, ont programmé, dès les années 1980, des cours de danse hip-hop comme des ateliers de graffiti. Les années Mitterrand voient l’intégration des jeunes comme une priorité et, en 1989, le Contrat de ville accompagne cette politique. En 2007, le texte devient le Contrat urbain de cohésion sociale et la promotion de ce que l’on appellera les « cultures urbaines » est un de ses axes (Lebreton, 2010).

Dans le même élan, une valeur artistique sera reconnue au graffiti hip-hop par le ministère de la Culture et de la Communication, notamment sous l’impulsion de Jack Lang. La mise en avant de pratiques juvéniles et urbaines liées au hip-hop est présentée comme un moyen de répondre à la problématique de l’exclusion et de favoriser la citoyenneté, mais c’est aussi une manière de les saisir dans un cadre normatif. Vincent Dubois a analysé trois expositions présentées au début des années 1990. Les actions menées résultaient de projets aux dimensions à la fois « sociales » et « culturelles ». L’ambivalence des termes renvoie à la manière dont les problèmes sont construits, par l’exclusion, et comment les solutionner, par la médiation culturelle. Il a observé un décalage entre les ambitions et les effets de ces expositions qui, selon lui, « ont contribué à réactiver les formes les plus violentes d’ethnocentrisme social » (Dubois, 1994 : 38). L’auteur poursuit son diagnostic : « Plus que la production d’un consensus autour d’une conception élargie et intégratrice de la culture, elles ont suscité une polémique partisane mêlant les accusations de  ̏ démagogie˝ à celles de  ̏ décadence˝. » (Ibid).

Afin de favoriser l’expression artistique du graffiti, des mairies ont mis en place des murs d’expression libre. Si par ces procédés, les graffiteurs trouvent des conditions favorables à l’exercice de leur art, beaucoup concèdent qu’il s’y trouve dénaturé. « Un tel dispositif ne représente rien de plus que la domestication pragmatique d’une idée fondamentale, au sein d’un cadre limité et finalement contrôlable », explique Johannes Stahl (Stahl, 2009 : 94). Des graffiteurs boycottent les murs légaux. D’autres s’y rendent occasionnellement, tout en continuant à s’inscrire dans une démarche transgressive. Comme le révèlent les propos qui suivent, c’est l’authenticité du mouvement qui est en jeu. Nikos a dix-sept ans et il peint depuis trois ans. Pour lui, sur un mur d’expression libre, « ce n’est pas du graffiti ». Selon Malik : « Le mur légal ça casse l’essence du graffiti. Ce n’est pas fait pour ça donc ce n’est pas authentique. À la base, tu es autonome de tes vibes urbaines. » Jean-Charles poursuit : «  Quand tu fais ça, c’est que la ville a donné son accord. Tu t’intègres dans une démarche qui n’est pas la tienne. Le graffiti légal, il n’est pas vivant. Ce n’est pas libre. C’est un passe-temps comme si tu pouvais aller te payer une heure de tennis le dimanche. » 

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2) Interview de Honet, vingt ans de graff en Europe

« C’est tellement facile de montrer une énième foire avec tous ces petits arrivistes dont les seuls graffiti se trouvent dans les ruelles entre chez Agnès B. et le Grand Palais ! Non, je parle des vrais, de ceux qui ont fait leurs preuves dans la rue, le métro ou simplement dans les terrains vagues. Peu importe, tant que leur démarche et sincère. Et ce qui définit cette sincérité, c’est la complexité de leur personnalité, l’évolution de leurs expérimentations, ceux qui cherchent avant tout à ne pas ressembler aux autres, qui savent se remettre en question, prendre des risques et qui se trompent parfois (souvent). C’est l’authenticité du personnage qui fait sa grandeur… Ces virtuoses du graffiti ne sont pas durs à trouver, nous les connaissons. Malheureusement ils ne savent pas toujours se vendre. Ils ne passent pas leurs journées à gratter à la porte. Les puristes sont plus durs à gérer, plus durs à cadrer, les hors normes, les introvertis, les autistes… Et parce que ce qui les motive n’est pas le profit mais leur sensibilité, leur rage ou leur intelligence, leur vision aura toujours une longueur d’avance. Marre du politiquement correct, du street propre sur lui, des rebelles du premier rang, des  ̏ Bonjour˝ et des  ̏ Merci, la caisse et par ici˝, du vide, du creux, du zéro talent, du graffiti décoratif, des bad toys pour les good boys, de faire des trucs  ̏ tous ensemble˝, comme si j’étais ton pote ! Moi, je veux de l’esprit, de l’élégance, du scandaleux, de l’introspectif, du torturé, de l’émotif, de la déviance, du vitriol, des problèmes avec la justice, brûler Futura 2000. Je veux un truc qui ne plairait pas à ma mère ! » (Fournet, 2009 : 22).

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