Tiré de : marchesurlacop
Je ne doutais plus que la civilisation comme on la nomme, ne fût une barbarie savante et je résolus de devenir un sauvage.
Anatole France, Jardin d’Épicure
En matière de changement climatique, comme de menace terroriste, il semble que les gouvernements aient fait de la peur la mécanique intime de leurs mondes. En ces heures embrouillées, où la plus grande confusion règne quant aux parti pris et aux perspectives politiques qu’il est désirable de suivre, où la terreur est appliquée à tous les domaines de l’existence, de l’environnement à la fête, du chômage de masse à la circulation des personnes : un état de panique qui fait planer l’anéantissement de tout ce qui vit, sans autre voie de salut que de s’en remettre entièrement à ceux qui nous gouvernent. Il est grand temps d’affirmer que nous ne sommes pas terrorisés, et que nous n’avons pas besoin d’être sécurisés.
Le message schizophrénique qu’on ne cesse de nous rabâcher semble dire : « vous risquez de mourir à tout instant, restez calme : on va trouver une solution ».
Des quartiers mis sous couvre-feu sans lien avec les attentats du 13 novembre, les manifestations interdites, la fermeture des frontières face au flot de réfugiés qui viennent questionner le sens de nations à bout de souffle, une économie malade au chevet de laquelle ne cesse de se bousculer des médecins bornés et sûrs d’eux, l’imminence annoncée des catastrophes climatiques, environnementales et humaines. Gestion martiale du cours des choses, dont les remèdes finissent par être la seule maladie.
État d’urgence et nouvelles taxes carbones. Le malade, c’est nous : contrôlons-nous, sinon c’est la mort assurée, dès demain sous les balles terroristes, ou d’ici une cinquantaine d’années celle de toute la planète.
Au fond, pour les gouvernants un attentat ou une courbe de température ne sont rien de plus que des prétextes pour nous gouverner et stimuler l’économie : interdire les manifestations et encourager le shopping ; créer une police de l’environnement et industrialiser toute la forêt.
Il nous appartient de refuser l’interminable organisation du désastre, comme il nous appartient d’anéantir la quête de gloire et le désir de mort de certains de nos semblables. L’une et l’autre de ces architectures de notre temps sont au fond parfaitement homogènes.
La vie étant désormais le lieu même de la politique, il n’y a pas à s’étonner qu’elle soit la cible en tant que telle des États contemporains – quand bien même il s’agit d’États autoproclamés – mais si la vie est directement politique, alors plus que jamais continuer à vivre intensément, veut aussi dire vivre politiquement.
On voudrait nous faire croire aujourd’hui qu’il y a la guerre, celle du libéralisme occidentale contre le terrorisme islamiste. Une guerre dans laquelle la plupart d’entre nous aurons bien du mal à choisir un camp : une guerre d’États, de l’aveu du gouvernement français lui-même qui identifie l’ennemi par une fiche « S » pour « Sûreté de l’État ».
Et si ce sont nos corps qui sont touchés aujourd’hui, c’est bien parce que l’État et son armée se sont rendus intouchables, blindés dans des sommets surprotégés, envoyant des drones anéantir une « cible » et tout son quartier.
En réalité, nous sommes tous en guerre contre ce qui nous détruit. Il n’y a pas la guerre, il y a une multitude de guerres comme il y a une multitude de positions.
Nous ne sommes l’armée de personne, nous menons nos propres guerres pour construire les vies qui nous semblent désirables.
Durant la COP21, le gouvernement a annoncé que « pour des raisons de sécurité », seules les négociations entre dirigeants se tiendront, toutes les autres manifestations seront interdites. Nous refusons de remettre notre sécurité et notre avenir entre leurs mains.
Nous avons traversé en convoi des lieux où des personnes luttent concrètement contre le désastre environnementale, en cessant d’attendre qu’une décision extérieure viennent sauver leurs territoires. Nous ferons route vers Paris à la veille d’un sommet qui réunira des gouvernants du monde entier pour discuter d’aménagements économiques et de calculs environnementaux. Nous ne les laisserons pas être hégémonique, et décider de nos vies et de la texture de nos territoires, comme on joue au Monopoly.
Nous sommes en guerre contre la morbidité de notre époque et le nihilisme de notre génération, nous sommes en guerre contre le fondamentalisme religieux et la civilisation occidentale, dont l’opposition factice ne tient qu’au délai de leurs perspectives eschatologiques.
Douglas