Nous retranscrivons un article de paris-luttes.info ; que vous pouvez lire directement ici : Vivre sous l’état d’urgence
Depuis une semaine et pour plusieurs mois, nous vivons sous état d’urgence. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Récit de la séquence politique de cette semaine qui a vu l’état d’urgence promulgué, modifié, prolongé pour trois mois et quelques-unes des conséquences de ce nouveau régime politique.
Après les terribles attaques de vendredi soir, le président Hollande décrète l’état d’urgence samedi 14 novembre à 00h00.
Mais au fait C’est quoi l’état d’urgence ?
C’est un texte régi par une loi votée en 1955, en pleine guerre d’Algérie.
L’article 1er de la loi du 3 avril 1955 modifiée instituant l’état d’urgence dispose que « l’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’évènements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. » [1]
A noter le caractère particulièrement vague de la définition.
Depuis la Seconde Guerre mondiale il a été utilisé à plusieurs reprises :
Durant la guerre d’Algérie, mais uniquement sur le territoire colonisé (l’Algérie française), de 1955 à 1961 avec des durées indéterminées pour des durées allant jusqu’à 12 mois).
Dans les territoires occupés en Kanaky (Nouvelle-Calédonie) pendant près de 6 mois.
En 2005 pendant la vague d’émeutes qui toucha les cités françaises. C’était pour l’instant l’unique fois qu’il avait été utilisé en France métropolitaine.
C’est donc la première fois que l’état d’urgence est décrété sur l’ensemble du territoire français. En 2005, seuls certains départements étaient concernés par l’état d’urgence. [2]
« Les Français sont prêts, je le crois, à une restriction des libertés toute relative, encadrée, contrôlée et limitée dans le temps » [3]
Cette batterie de mesures d’exception ne devait pas excéder 12 jours. Pour être prolongé il faut le vote du parlement. C’est chose faite jeudi 19 novembre, à l’Assemblée par 551 voix contre 6 et une abstention, seuls trois députés Vert et trois députés PS dit « frondeurs » se sont opposés au prolongement de trois mois de l’état d’urgence. [4] La droite espérait six mois d’un coup d’un seul. Au passage quelques modifications de lois ou amendements ont été votées pour actualiser et renforcer le décret et le pouvoir exécutif.
Par exemple Manuel Valls a déclaré à propos de l’assignation à résidence :
« Nous élargissons la possibilité d’y recourir, pas seulement sur des activités dangereuses avérées, mais aussi menaces fondées sur éléments sérieux » [5]
Voilà encore une définition bien vague. Par ailleurs le refus de se soumettre à cette assignation fait encourir jusqu’à un an de prison contre deux mois maximum en 1955. L’utilisation de bracelet électronique sera, a priori largement utilisé. Bien sûr tout cela sans le moindre contrôle judiciaire et à la discrétion du ministre de l’Intérieur.
Si nous ne doutions pas des intentions opportunistes et autoritaires de ce gouvernement nous voilà prévenus, l’état d’urgence, l’état d’exception, risque de devenir la règle au minimum pour les trois mois à venir.
Qu’est-ce que cela implique réellement l’État d’urgence ?
Les préfets ont ainsi la possibilité de prévenir la commission de nouveaux actes par des perquisitions administratives dans les domiciles, de jour comme de nuit. Ils peuvent également prononcer la fermeture provisoire de salles de spectacle, de débits de boissons et lieux de réunions de toute nature, ainsi qu’interdire des réunions. Le ministre de l’intérieur peut assigner à résidence des personnes évoluant dans la mouvance terroriste. [6]
Par ailleurs la déclaration de l’état d’urgence donne pouvoir aux préfets de département :
La possibilité d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ;
La possibilité d’instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ;
La possibilité d’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics. [7]
prévoit la dissolution d’associations ou de groupements de fait portant une atteinte grave à l’ordre public, dans des conditions spécifiques à l’état d’urgence [8]
Il permet enfin l’accès aux données informatiques accessibles depuis le lieu perquisitionné, ainsi que la prise de copies. [9]
Dans la foulée les parlementaires et le gouvernement prennent des mesures sécuritaires comme :
La possibilité de couper des sites internet [10]
la possibilité de puiser dans les stocks d’armes de la Police Nationale pour armer les policiers municipaux.
L’embauche de 1500 matons, de douaniers, de flics, le renfort des services de renseignements… En tout près de 9000 personnes en plus.
Le renforcement des contrôles aux frontières, déjà en place pour la COP21 et donc étendus pour trois mois au moins.
Le passage de quatre à six jours pour les gardes à vues (GAV) dans les affaires de terrorisme.
Ceci n’est probablement que le début d’un tour de vis sécuritaire sans précédent dans l’histoire contemporaine française.
Quelques cas déjà concrets de l’application de l’état d’urgence
De très nombreuses perquisitions ont lieu dans toute la France. Il est très difficile d’en connaître le nombre exacte [11] ni si il s’agit uniquement de perquisitions liées à des actes de terrorisme. D’après certains articles de nombreuses opérations relèvent en fait de la délinquance commune, voir de la punition collective.
Au moins 118 personnes sont assignées à résidence. « L’état d’urgence ouvre la possibilité pour le ministre de l’intérieur d’assigner à résidence des personnes qui ne sont soumises à aucune procédure judiciaire si leur « activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics », selon l’article 6 de la loi de 1955. » [12]
« L’assignation à résidence est en l’occurrence étendue à toute personne dont « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public ». Cette terminologie correspond aux « fiches S » de renseignement, soit potentiellement plus de 10 000 personnes. » [13] Voir à ce propos Itinéraire d’un ennemi intérieur fiché « S » et qui n’a pas grand-chose à voir avec Daesh…
Les manifestations politiques ou solidaires sont interdites, comme celles de la COP21, les rencontres de Paris 7, bref L’État d’urgence entrave déjà nos libertés
Des populations entières peuvent vivre sous un couvre-feu sans que l’on sache bien le rapport avec l’anti-terrorisme.
Dans certaines villes se sont les mineurs qui sont sous couvre-feu. Pas de grand rapport avec le terrorisme.
Les exemples sont nombreux et on voit clairement qu’à même pas une semaine du choc, les réactionnaires de tous bords s’engouffrent dans la brèche, s’essayent à la sur-enchère.
Peine perdue ! La droite la plus réactionnaire n’a rien à dire puisque le Parti Socialiste à travers son gouvernement applique déjà toutes leurs idées les plus pourries.
Modifier la Constitution pour pérenniser l’état d’exception
François Hollande et le gouvernement se rendent bien compte que ce décret, vestige de la guerre d’Algérie, n’est plus adapté à notre époque. Et puis passer le pouvoir aux militaires, voilà qui est assez anachronique. C’est pourquoi il propose une modification de la Constitution pour « alléger » un peu les effets policiers de l’État d’urgence, par exemple la presse ne peut plus être contrôlée par les préfets, il ne peut y avoir de perquisitions extra-judiciaires chez les avocats ou les députés, mais en contre partie l’exécutif veut pouvoir faire durer ces lois liberticides bien plus longtemps.
Une sorte de Patriot Act à la française en somme.
Quand on voit les dérives sécuritaires, voir totalitaires des USA ces dernières années il y a de quoi s’inquiéter sérieusement.
Pendant ce temps, pour bien faire flipper tout le monde, même s’il n’y a pas de risque réel, Valls agite la menace des armes chimiques.
Décidément, en manque d’idées, totalement aux abois, ou bien complètement cynique la classe dirigeante française va puiser dans le credo des Bush et autres faucons américains un répertoire que l’on sait vain mais qui n’en reste pas moins extrêmement dangereux pour les gens épris de liberté.
« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.«
Benjamin Franklin