Extrait de Thèses sur le concept de grève de L’institut de démobilisation
- Une grève sans plaisir n’est que l’ombre d’une grève
« Le travail sans plaisir, dit Nietzsche, est vulgaire ». Mais la grève sans plaisir l’est plus encore. Une grève qui reproduirait le sérieux, la soumission, l’ennui, la répétition (gestes autant que paroles), du travail qu’elle suspend serait un contre-sens : au lieu de réaliser la démobilisation, elle serait une « mobilisation » de plus. On ne devrait pas pardonner à son syndicat, ou pas plus d’une fois, une marche lente dans les avenues d’une ville – quand on s’ennuie, quand rien ne saurait se passer. Comme l’amour (du point de vue de celui qui le vend), la grève sans plaisir n’est possible que réduite à un simple moyen : et alors on négocie (coût, durée, modalités, etc). La grève faite sans plaisir n’existe que blessée – reste dans l’ombre de soi. On ne devrait pas pardonner trop souvent à son syndicat de blesser la grève – comme il le fait quand il la dévie de sa trajectoire neuve, et qu’il la reconduit, la redirige, vers l’ennui des marches lentes. On ne devrait pas pardonner trop souvent au syndicat d’user la grève à de trop petites actions, au risque qu’elle devienne toujours triste, et ne soit plus reprise qu’en petite grève gérée ou fiesta. On ne devrait pas pardonner trop souvent au syndicat d’y aller si imprudemment avec la grève, quand on sait sa fragilité. Non d’ailleurs qu’on reprocherait au syndicat de dépenser trop la ressource de la grève – mais il la dépense mal, il la dépense bourgeoisement, ne sachant plus le somptueux. Et l’on ne devrait pas pardonner au syndicat (jamais, pas une seule fois) d’aller contre la joie, ou même d’oser parler contre elle. Car la rare ressource, la plus précieuse ressource dont dispose la grève ; la plus violente et la dernière (quand les autres sont épuisées) source où boit la grève : ce n’est rien d’autre que sa joie, le dernier filet d’eau fragile de sa joie : on voit des grèves, encerclées par exemple, qui survivent même à la faim ; mais on a jamais vu une grève, pas même une qui fût gorgée de vivres, survivre à sa joie.