28 avril 2016, Dijon.
Les péripéties commencent avant même le début de la manifestation. Un groupe transportant une banderole et un caddie rempli de confettis se fait coincer par la BAC dans une ruelle attenante à l’Église Saint-Michel. Alors que les policiers se mettent en tête de contrôler tout le monde, des grappes de gens arrivent depuis le rassemblement qui a débuté place de la libération. Se sentant probablement menacés par cette foule, les flics brandissent immédiatement gazeuses et grenades. L’altercation en reste là. Tout le monde repart ensemble. Ce sera le seul contact avec le dispositif policier, resté invisible tout l’après-midi. Pourtant l’ambiance a été chaude.
À peine remontée la moitié de la rue de la lib’, Sephora – digne propriété du groupe LVMH – reçoit les premiers outrages des bombes de peintures. Dans la foulée, c’est Mc Do qui fait l’objet de la première attaque à base de tags et de confettis. Les employés du fast-food sont invités à se mettre en grève. Les managers tentent de faire refluer les fauteurs de trouble qui de toute façon préfèrent poursuivre leur route. Quelques pas plus loin, le vaste hall du Crédit Lyonnais est à son tour envahi d’une nuée de manifestants euphoriques. Un vigile, étonnamment hilare, finit par déclencher la fermeture du rideau de fer. Back to the street. À chaque fois, le cortège s’arrête, attend que les lieux ciblés aient été convenablement garnis de décorations diverses tout en scandant quelque slogan d’occasion ; pour exemple le très populaire : « On bossera pas, pour vos vacances à Panama ! » qui accompagnait les petites sauteries éclairs organisées dans les établissements bancaires pris à parti.
On arrive place Darcy, le premier crédit mutuel n’a qu’une devanture close et mutique à nous offrir. Heureusement, c’est le moment où nous arrivons sur les rails du boulevard de Brosses. De vieilles paires de chaussures aux lacets noués ensemble font opportunément leur apparition. On essaye ici et là, sous les vivats de la foule, de les enrouler aux câbles qui alimentent les trams en électricité. Chaque réussite déclenche une acclamation méritée. Puis viennent la MAAF, telle agence immobilière, la préfecture, de nouveau le crédit mutuel, et pour finir au moment d’arriver à la fin du cortège officiel, le crédit lyonnais se trouve une nouvelle fois à l’honneur. Difficile d’établir une liste exacte de toutes les banques et autres instituts nuisibles qui ont à subir l’ire populaire. Parvenu place Wilson, le cortège de tête, c’est-à-dire plusieurs centaines de personnes d’apparence assez jeune – comme on se doit de le constater – décide de faire durer la fête.
Tentant d’embarquer le reste de la manifestation, parvenant à arracher quelques silhouettes au morne agrégat hérissé de drapeau qui s’apprête à se dissoudre, on continue de dériver en s’égosillant jusqu’à croiser les grilles de la cour d’appel de Dijon : une poudrée de peinture grise du plus bel effet vient alors la recouvrir méthodiquement. Jeté à nouveau dans la rue Chabot-Charny, le cortège croise la route d’un bus. Immobilisé plusieurs minutes, orné d’une inscription « transports gratos » en place de l’habituel publicité au cul du véhicule, ce bus fut sans doute la source d’inspiration de l’ultime réussite, et non des moindres, de cette journée. Retrouvant le chemin de la place Wilson après une course effrénée et enthousiaste sans raison apparente, un centaine de personnes décident de bloquer le trafic. Le blocage se fait tantôt sit-in, tantôt duel avec un automobiliste énervé. On parle avec tous les conducteurs, on explique, parfois on accorde un droit de passage. On danse au milieu des voitures. Un embouteillage monstre se forme tandis que sur les pelouses la nuit debout à lancer ses commissions. Au bout de quelques minutes, le constat est clair : bloquer la place Wilson, c’est, à terme, bloquer la circulation dans toute la ville. Une heure plus tard au bas mot, quelques escouades de CRS gagnent le point de blocage alors que leurs véhicules restent coincer dans les files de voitures. S’en suit un désopilant jeu du chat et la souris. Déloger en un point, les bloqueurs s’en vont interrompre la circulation du côté opposé, obligeant les policiers à d’absurdes déplacements.
Il y a quelques leçons simples à tirer de cette joyeuse journée :
– une grosse ambiance rend tout possible, et pour cela il faut de bons slogans à crier, des chansons à reprendre en cœur,
– en quantité importante et partageable des accessoires aussi dérisoires qu’un sachet de confettis, une bombe de peinture ou une paire de vieilles chaussures peuvent changer le destin d’une manif’,
– une vision claire et explicite, voire explicitée, des cibles choisies nous assure du soutien et de la bienveillance de la partie non agissante du cortège.
Quant à l’énergie syndicale, nous l’appelons – comme ont décidé de le faire des intellectuels par un communiqué* – à soutenir l’action de la jeunesse. En attendant la grève générale, le rapport de force se construit en priorité dans la rue. Et ce rapport de force n’est pas uniquement dépendant du comptage de manifestants. Il dépend aussi de la capacité à entraver le fonctionnement normal d’une ville et du courage collectif qu’il y a à s’en prendre frontalement aux relais du pouvoir. Les banques sont, à cet égard, le symbole le plus évident et la cible la plus consensuelle.
La prochaine manifestation aura lieu le 10 mai, venons encore plus nombreux et plus déterminés faire son carnaval au capital !
Comité du 32 mars