Vacarme en réunion
Iceberg Submersif – Dissidences Cannibales
« Demain s’ouvre au pied de biche »

Rennes, occupation de la maison du peuple

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Depuis le début de ce mouvement, on nous a interdit le centre historique pour qu’il ne fasse plus l’histoire et qu’il reste à l’état de « bulle autistique », petit Hummer bien garé, indemnisé du présent. Avec la prise de la Cité, il aura suffi d’une foule rapide pour redonner au centre ville quelque chose d’historique. Ce qu’on appelle d’ordinaire gentrification est une longue gouttière dans laquelle coulent nos villes transformées en métropole. L’expérience sensible qu’il nous restera bientôt d’elles est à peu près celle que l’on peut faire actuellement dans un musée. Ne pas toucher, ne pas crier, ne pas boire, ne pas s’asseoir par terre, ne pas écrire sur les murs. Toute une série de « ne pas » qui font reculer les choses sous nos pas. Le symbolique gagne du terrain sur le réel et met toute chose à bonne distance de l’humain. Pendant que la possibilité du commun se retire, les services communication tournent à plein régime et produisent des brochures en papier glacé pour être bien sûr que tout le monde a compris que sa ville était la première quelque part (la plus belle, la plus fleurie, la plus jeune, etc). La métropolisation n’est à penser que comme un vaste processus de sacralisation de l’espace social : elle sépare la ville du monde des hommes pour la faire exister dans l’espace virtuel national-européen-mondial. Métropole est le nom que l’on donne aujourd’hui à une ville sacrifiée et le sacrifice se lit dans une multitude d’appellations (parc urbain, centre des congrès, eurogare, etc). L’État nomme actuellement aménagement ce qui est en vérité la production du sacré. […]

Tout ce que touche le capitalisme, et donc l’État, devient parfaitement intouchable : la muséification du monde semble être son point final. Tout, aujourd’hui, revêt une dimension sacrée – est soustrait à la possibilité de l’usage. Dans nos vies quotidiennes, les exemples pullulent : « ne déplace pas cette chaise de la bibliothèque municipale, elle est réservée à la consultation d’ouvrages anciens », « je suis désolé mais vous ne pouvez pas jouer avec vos skateboards ici, c’est un espace réservé à la vie piétonne », « ce rond-point n’est pas un jardin monsieur ». On rencontrera de tel pape partout où le sacrifice a lieu : les banques, les mairies et la majorité des lieux publics. Avec la prise de la Cité, nous avons assisté à un acte de profanation tout à fait exemplaire, la profanation étant à comprendre comme la restitution à l’usage commun de ce qui avait été séparé dans la sphère du sacré. La salle de la Cité, en tant que lieu soumis à la programmation d’événements culturels, appartenait bien malgré elle à cette sphère séparée. Car si plaisante et agréable soit-elle, elle n’en restait pas moins un lieu public soustrait à la possibilité de l’usage. Aujourd’hui, avec les amis, « on va à la Cité » quand on en a envie, on prend les chaises à l’intérieur pour s’installer dehors, on fait la sieste sur l’estrade et parfois on y va même avec son pyjama. Lors du concert qui a eu lieu vendredi, un long et large étendard flottait au centre de la salle. Y était inscrit : « Demain s’ouvre au pied de biche ». Il faut prendre cet énoncé comme une invitation à profaner. Car les moments de joie partagés en cet espace ne peuvent que nous rappeler ce graphe posé à Rennes pendant le mouvement, et qui, inspiré, annonçait : « on n’entre pas dans un monde meilleur sans effraction ». On comprendra alors tout l’intérêt des gestes profanateurs en tant qu’ils permettent de redonner au sacralisé les horizons dont il avait été privé.

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