Aucun d’entre nous est ouvrier, dans la mesure où ce n’est pas un lieu de travail ou un métier particulier qui nous permet de nous revendiquer comme tel. Souvent nous sommes, comme presque toute notre génération, chômeurs quand nous ne sommes pas occupés par une activité absurde, qui ne produit rien de bien ou d’utile quelque soit le critère.
Ce qui est certain c’est que nous sommes tous mis au travail, mobilisés, pendant ou au-delà de « l’horaire de travail ». Si d’un côté, nous avons l’impression de ne servir à rien, d’être une partie superflue de l’humanité, intégralement remplaçable et éventuellement sacrifiable, de l’autre côté, nous nous rendons compte que la métropole ne pourrait pas continuer à aller de l’avant sans ces être humains, qui semblent lui servir de carburant.
Que ce soit nos bras, occupés à faire disparaître la merde produite par ceux qui sont trop riches pour s’abaisser et la nettoyer tout seul; que ce soit notre langue, occupée à harceler nos semblables au téléphone pour les forcer à acheter des affaires qui les rendra encore plus étrangers à eux-mêmes; ou que ce soit simplement notre temps, perdu dans un travail dont la finalité nous échappe complètement; ce par quoi notre patron est interressé chez nous ne nous importe pas, il pourrait également le trouver chez quelqu’un d’autre, et finira un jour ou l’autre par le trouver dans un mécanisme.
On vient à se demander si le travail sert en fin de compte à produire quelque chose, ou si ce qui se présente comme production de richesse a comme première finalité de nous maintenir au travail, de sorte à n’avoir ni temps, ni énergie pour faire autre chose. Comme si cet autre chose faisait trembler la société. La même chose vaut pour l’école, où nous avons plus l’impression d’être surveillés plus que d’apprendre quelque chose.
En considérant le destin de notre existence, la mise en valeur totale de l’énergie et la discipline impitoyable à laquelle elle est soumise, les régions entières plongées dans la fumée et illuminées par les cimetières, les villes où s’accumulent des millions d’êtres, nous sentons avec consternation qu’il n’y a désormais plus aucun atome étranger au travail et que nous sommes tous voués à ce processus frénétique. L’aspect le plus important de cette mobilisation totale n’est pas celui technique mais celui de la disponibilité à être mobilisés.
Le champ de bataille est donc notre propre existence.
C’est pour ça que s’invente, souterrainement, partout dans le monde, la grève métropolitaine.
Dans le vécut quotidien, de nombreuses fissures s’ouvrent et se referment, des moments de grève diffus dans lesquels nous prenons l’avantage sur la métropole ; des comportements spontanés que la police identifie et isole comme des formes irrégulières, illicites, illégales. Se reproduire et s’isoler dans un rôle spécifique, être étudiant, être travailleur : en refusant ça, la grève prend la forme de désertion.
Ne pas payer le ticket, sécher l’école, se mettre en arrêt maladie, prendre la marchandise, couvrir celui qui la prise ; la grève est centrale dans chaque acte qui se révèle contre la métropole. Les fissures ouverte doivent tarder le plus possible à se refermer., possiblement (voire) jamais.
Nous détestons ce qui produit ce monde, nous détestons le fait que nous voyons désormais tout le monde comme produit. C’est pourquoi la grève métropolitaine est à celui qui refuse de se définir à partir de son rôle à l’intérieur (ou à l’extérieur) du rapport de production.
Il n’y a plus rien à revendiquer, il n’y a plus rien à critiquer, il n’y a plus rien à réprimander aux patrons et aux politiciens. Faire la grève doit de nouveau être considéré comme un acte positif, comme l’invention d’un temps nôtre au-delà du temps historique, comme le retour de ce que le travail suspend toujours : le déploiement de notre propre activité, de notre propre et essentielle inaction.